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Comme souvent au Congo, la politique n’éveille qu’un intérêt limité, paresseux et tiède et la campagne pour les élections de décembre, même la présidentielle, sombre dans l’ennui.

Mais, par contre et sans aucun doute possible, les passions se déchaînent autour de la rumba et les débats se succèdent les uns aux autres, au fil des mois : l’un des plus sanglants a eu cours au moment des derniers Jeux de la Francophonie à Kinshasa entre Fally Ipupa et Ferre Gola. Il y a presqu’eu un danger de guerre civile entre Warriors et Golois !

Loin du conflit saumâtre entre Koffi Olomide et sa fille Didistone, cette rivalité, largement commentée par les échotiers, pose les termes d’un enjeu qui ne cesse de traverser l’histoire de la rumba : celui de son exportation internationale.

Exporter la rumba congolaise, en faire une musique internationalement acclamée, le premier pas a été posé par le Grand Kalle au moment de la Table ronde de 1960 et des tubes éternels qui en ont résulté. Cela a été la première affirmation officielle du phénomène rumba sur le sol européen.

L’héritier du Grand Kalle a été Rochereau/Tabu Ley, premier artiste africain à se produire à l’Olympia, le 12 décembre 1970, la salle mythique de l’époque, l’équivalent de l’Arena aujourd’hui. Attentif aux courants musicaux de la variété française de l’époque, Tabu Ley a copié le principe des Clodettes de Claude François, traduit des chansons de Joe Dassin en lingala, chanté en français (le fameux « Pitié ») et revisité, avec Mbilia Bel, la formule du duo masculin-féminin, à l’image de Stone et Charden en France ou, en regardant vers les US, de Ike et Tina Turner.

Sa rumba-paillette, fiesta et inspirée, a absorbé avec virtuosité tous ces emprunts, de manière à la digérer sans en laisser de traces. Mais, en cela, il tenait la corde de la tradition d’une musique qui, venue de Cuba, tout en y étant produite par la descendance d’esclaves kongo, est fondamentalement une musique tissée d’emprunts et d’absorptions. Face à lui, la rumba odimba de Franco, son grand rival, entame quant à elle le retour aux origines et aux rythmes de terroir, yeux dans les yeux avec le quotidien et l’actualité des Congolais.

On ne s’éloigne pas de notre sujet Fally Ipupa et Ferre Gola, puisque cette rivalité de Tabu Ley et de Franco se retrouve dans la comparaison entre Fally et Ferre. Héritier de Tabu Ley, par la filiation Tabu Ley-Papa Wemba, (qui s’est toujours affirmé un élève de Tabu Ley), puis celle de Papa Wemba-Koffi Olomide (c’est à partir de Koffi Olomide et de son Quartier Latin que Fally Ipupa a émergé), Fally a toujours eu la même ambition de s’exporter et de se faire connaître hors des frontières de son pays, ce qui, nécessairement, a impacté sa musique de certaines influences. Ferre Gola est resté au Congo et ce n’est que récemment qu’il s’est mis, avec peu d’envie, mais poussé dans le dos, à l’exercice de se faire connaître mieux à l’extérieur non-africain. Exactement comme Franco, à qui tout cela ne bottait guère…

Le triomphe de Fally Ipupa, hier, est équivalent, toutes proportions d’époque gardée, à celui de Tabu Ley, en 1970, à l’Olympia, la plus grande salle de l’époque en France et continue le même espoir de conquérir les charts internationaux.

Pour cela, Fally a voulu mettre en place, méthodiquement, une stratégie gagnante. Le seul problème, c’est qu’il y a déjà une musique africaine, consommée internationalement, qui cartonne et lui fait écran : c’est l’afro-pop nigériane, inspirée de l’afro-beat de Fela.

Fally n’a jamais gagné un prix aux BET Awards, alors qu’il a déjà présenté plusieurs fois sa candidature et c’est une blessure qu’il continue de ressentir amèrement. Les Nigerians l’ont toujours surclassé. Il est à la remorque de cette musique, tout en en copiant certains trucs et astuces. Grâce à ses featuring avec des vedettes du Nigeria, des US et même de la varièté française, il a mis le temps qu’il fallait pour construire un nouveau style, a emprunté certains paroliers ou musiciens de la place de Paris, a fait faire ses clips par des réalisateurs de clips de Maître Gims, a lancé des challenges chorégraphiques sur youtube et débauché Jeny BSG, la reine congolaise de la chorégraphie, dés qu’il a eu vent de ses succès aux USA, a sorti dernièrement deux album, dont presque toutes les chansons ont été calibrées pour être des tubes phénomènaux, dans une succession étourdissante. Les réseaux sociaux n’ont pas été oubliés et ont tourné à plein régime. Toute une machine a été mise en place avec beaucoup d’intelligence et d’organisation. Sans compter la capacité de force de travail presqu’inépuisable de Fally !

Un quasi sans-fautes !

Mais, ce sont les forces de Fally, qui deviennent, contradictoirement, presque ses défauts : à force de trop maîtriser les choses, il prend un côté inodore et incolore. Sa rumba-pop est un peu trop polie pour être honnête et sent la formule réutilisable. Et la passion se retire…

Nostalgique de l’enfant de Bandal, j’espère le voir réapparaitre un jour, même si je comprends sa faim de gloire : vouloir produire un succès comme le « Calm down » de Rema, on le lui souhaite.

Mais, Rema reste un petit gars authentique. Et c’est sur ce point-là que je reste sur ma faim avec Fally : il est devenu trop « propre sur lui » comme on dit en Belgique : on ne sait plus qui il est. Il est opaque, dissimulé derrière son dernier surnom, l’Aigle, comme derrière une armure, avec sa gestuelle devenue mécanique. Koffi Olomide, avec toutes ses turpitudes malaisantes, est un gars impossible, mais il est plus vivant, plus généreux de lui-même que Fally.

Cependant, Fally reste un type surprenant, dont on ne sait jamais la prochaine carte qu’il sortira de sa poche. Il réfléchit intensément, passe constamment en revue toutes ses options : je l’ai brièvement croisé et je lui ai parlé, même pas 5 minutes. Ce qui m’a surprise a été sa capacité de concentration. Il m’a écoutée attentivement, a soupesé mes mots, a pris le temps… Et cela au milieu de la foule et du bruit de sa cour de courtisans et d’adorateurs. D’une façon très froide, sans s’énerver devant mes propos un peu piquants. Parce qu’il est toujours à la recherche de ce qui peut lui servir, quelle qu’en soit la source. C’est quelqu’un de vraiment intéressant et son charisme est impressionnant… Cela va être fascinant d’observer le prochain round.

Si Ferre Gola a remporté le round « Jeux de la francophonie », celui d’hier soir, c’est Fally Ipupa qui l’a gagné. Incontestablement.

Pour cette fois.

Monique Mbeka Phoba

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